« Vivre n'est qu'un fragment? de quoi? Vivre n'est qu'un écho? de quoi? Vivre n'a de sens qu'en liaison avec les nombreux orbes de l'espace s'élargissant à l’infini, Vivre n'est que le songe d'un songe, mais veiller, c'est être autre part.»
CONCEPTION, MONTAGE DU TEXTE* ET CHOIX MUSICAUX
Fabienne Kandala
MISE EN ESPACE Denis Lavalou
ANNÉE DE CRÉATION (NOUVELLE VERSION) 2014
GENRE concert lecture
PUBLIC tout public
DURÉE 1h25
AVEC
Fabienne Kandala piano
Denis Lavalou interprétation
DIRECTION TECHNIQUE ET RÉGIE Camille Robillard
PROJECTIONS détails des peintures de Zao Wou-ki
PRODUCTION Sol Omnibus
PRODUCTEUR délégué Théâtre Complice
* Texte extrait de Lettres à une musicienne, traduction de Pierre Deshusses pour les Éditions Calmann-Levy (Maren Sell) 1998, auquel se sont ajoutés quelques poèmes.
PROGRAMME MUSICAL
Ludwig van Beethoven : Sonate en mi majeur Op. 109
Robert Schumann : Fantaisie Op. 17 & Noveletten Op. 21 N° 8
Johannes Brahms : Drei Intermezzi Op. 117
Frédéric Chopin : Préludes Op. 28, Nos 2, 4, 6, 14, 17, 18 et 24
Claude Debussy : La Cathédrale engloutie & Reflets dans l’eau
Sergueï Rachmaninov : Préludes Op. 23 n°7
Lien teaser : https://youtu.be/Ru_a7QHGDS0
Le 26 janvier 1914, par l’intermédiaire de son éditeur, le grand poète de langue allemande Rainer Maria Rilke, qui habite alors Paris et sort d’une crise profonde, reçoit la lettre d’une admiratrice inconnue. Elle est viennoise, pianiste et s’appelle Magda von Hattingberg. Commence alors une correspondance intime et passionnée autour de la musique entre le poète et celle qu’il rebaptise BENVENUTA. Dans ce dialogue intime où la musique répond aux mots et les mots à la musique, sont abordés des thèmes aussi divers que les sons, l’enfance, la splendeur de la nuit, la difficulté d’agir, la joie pure, la peur d’aimer et d’être aimer.
Les deux amants épistolaires finiront par vaincre leurs réticences ; ils se rejoindront à Berlin, un mois plus tard, le 26 février 1914. Leur liaison ne durera qu’un printemps, mais la trace qu’elle aura laissée dans leur deux cœurs demeurera indélébile.
Rainer Maria Rilke
Né à Prague en 1875, René Maria Rilke est l’un des plus grands poètes de langue allemande du XXe siècle. D’abord pensionnaire dans une école militaire, il en est renvoyé en 1891 pour inaptitude physique. Il étudie alors le commerce avant de revenir dans sa ville natale où il exerce comme journaliste et écrit ses premières œuvres. En 1896, il part pour Munich et y rencontre en mai 1897 Lou Andreas-Salomé avec qui il voyage en Russie où il rencontre Tolstoï en 1899. Deux ans plus tard il fait un mariage éphémère avec Clara Westhoff, dont naîtra une fille, Ruth. Secrétaire de Rodin à Paris à partir de 1905, il rompt avec ce dernier et erre à nouveau à travers l’Europe et au-delà de 1907 à 1910. Il abandonne peu à peu la prose pour se consacrer à la poésie, plus apte selon lui à restituer les « méandres de l’âme ». En 1910, il fait la connaissance de la princesse Marie von Thurn und Taxis, qui sera son mécène jusqu’en 1920 et pour qui il composera les Élégies de Duino. Mobilisé dans l’infanterie lors de la Première Guerre mondiale, il revient rapidement à la vie civile et écrit en Suisse, où il s’installe dès 1919, plusieurs recueils de poésies en français avant de décéder d’une leucémie en 1926. Extrêmement populaire de son vivant, il est vite considéré comme un maître par les autres poètes et le cercle aristocratique où il trouve ses protecteurs. Il doit cependant sa notoriété mondiale à un recueil de lettres les Lettres à un jeune poète publié après sa mort par Franz Xaver Kappus.
Son oeuvre, introvertie, est une longue méditation sur les événement essentiels de l’existence humaine, et en particulier, la mort, qui lui semblait le point culminant auquel toute vie doit préparer.
Magda von Attingberg
Née à Vienne en Autriche le 10 décembre 1883, morte à Gmunden le 13 février 1959, épouse divorcée de l’écrivain Herman Graedener, Magda Von Attingberg est une pianiste virtuose qui a été l’élève du compositeur Ferruccio Busoni. Rapidement après la première lettre envoyée à Rilke en janvier 1914, dont elle reçoit réponse presque spontanément, une profonde connivence s’installe entre le poète et celle qu’il prénomme désormais Benvenuta. En l’espace de quelques lettres, l’inconnue devient la soeur, la confidente, la fidèle et tendre amie. Pendant un mois, ils s’écrivent presque tous les jours. Ils ne se sont encore jamais vus et chacun rêve de tout dire, de tout écrire, d’être transparent aux yeux de l’autre. Un mois plus tard, après avoir vaincu toutes ses appréhensions, Rilke part à Berlin pour rencontrer Magda. Ils voyagent ensemble à Munich, Paris et Duino, mais se séparent à Venise en mai 1914, sentant tous les deux que leurs espoirs d’une relation harmonieuse et enrichissante seraient déçus. Magda von Attingberg est morte à Gmunden (Autriche) le 13 février 1959. Exhumées et traduites de l’allemand par Pierre Deshusses en 1998 après plus de trois quarts de siècle de silence, par leur profondeur, leur variété de tons et la diversité de leurs thématiques – rapport à la musique, mais aussi enfance, création, temps qui passe, etc. – les Lettres à une musicienne font partie intégrante de l’œuvre de Rilke.
«Tu étais là, Benvenuta, mon astre, et tu voulais briller au-dessus de ma bataille, pour ma victoire. Mais moi, je n’étais pas pareil à Josué, je n’osais pas, je ne me croyais pas capable de tenir le soleil.»
Fabienne Kandala, pianiste
Née au Québec, Canada, Fabienne Kandala commence l’apprentissage du piano à 5 ans avec M.-J. Tchernoff. Ses études la mènent successivement à l’Université Laval de Québec (Maîtrise en Interprétation,) au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (esthétique musicale) et à l’École Nationale Supérieure de Musique/A. Cortot de Paris. Elle détient le Diplôme d’État français (DE) de professeur de piano. Elle se perfectionne auprès de Monique Deschaussées, Colette Fernier, Edson Elias et Christian Ivaldi. Elle donne plusieurs concerts en tant que soliste, accompagnatrice et chambriste au Canada et en France. En 1995, elle crée et met en scène Opéra sans parole: Ulysse et les sirènes représenté à Chatou (Yvelines, France). En 2002, elle crée la compagnie Sol Omnibus pour la promotion de concerts et de spectacles de théâtre et musique dont le spectacle Benvenuta: une passion selon Rilke, devenue Passion d’amour, signée Rilke qu’elle conçoit et réalise, et dans laquelle elle joue le rôle de la pianiste.
Extraits
Où est celui qui,
parmi nous,
aurait le droit de parler de l’amour?
Regarde,
la nature n’en parle pas ;
la nature l’a dans son coeur,
et personne ne connaît le coeur de la nature.
Regarde,
Dieu n’en parle pas ;
Dieu l’a dans le monde,
et le monde nous submerge.
Regarde,
la mère n’en parle pas;
car la mère l’a dans l’enfant;
et l’enfant le détruit.
Regarde,
l’esprit n’en parle pas;
car l’esprit l’a dans l’avenir
et l’avenir est loin.
Regarde,
celui qui aime n’en parle pas,
car celui qui aime l’a dans la souffrance,
et la souffrance pleure.
Silence,
Silence:
Oh ! ainsi parlerait la musique.
Mais lorsque la musique parle,
ce n’est pas à nous qu’elle s’adresse.
L’oeuvre d’art accomplie n’entretient de rapport avec nous que dans la mesure où elle nous dépasse.
Le poème se glisse dans la langue,
de l’intérieur,
à partir d’un endroit qui nous échappe,
il la remplit merveilleusement jusqu’à sa bordure extrême,
(mais plus jamais il ne tend vers nous).
Les couleurs se déposent sur le tableau
mais elles l’imprègnent comme la pluie abreuve un paysage;
et le sculpteur ne fait que montrer à la pierre la plus merveilleuse façon de se refermer. […]
La musique occupe certes une place à part,
plus proche,
elle déferle,
nous sommes sur son chemin,
elle nous traverse.
Elle est un peu comme une atmosphère supérieure,
nous en remplissons les poumons de l’esprit
et elle augmente la quantité de sang dans nos veines secrètes.
Mais que de choses elle transporte au-dessus de nous!
Que de choses elle fait affluer jusqu’à nous!
De combien de choses elle nous transperce!
Et nous ne les prenons pas!
Nous ne les prenons pas,
nous les perdons.
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Laisse-moi te dire combien je suis à la recherche de choses étranges.
J’aime me plonger dans les choses.
Peux-tu imaginer comme moi,
à quel point il est magnifique de se projeter par exemple dans un chien,
d’aller voir en lui, […]
voir en lui
(je ne dis pas voir à travers lui,
ce qui n’est rien d’autre qu’une sorte de gymnastique très humaine qui vous fait d’ailleurs aussitôt ressortir de l’autre côté,
puisqu’on ne considère alors le chien que comme une sorte de fenêtre ouvrant sur ce qu’il peut avoir d’humain,
non pas ça)
mais se glisser dans le chien,
exactement en son centre,
à l’endroit même qui fait qu’il est chien, […]
à l’endroit où Dieu s’est reposé un instant pour ainsi dire,
une fois le chien créé,
pour assister à ses premières hésitations et ses premières lubies,
pour s’assurer qu’il était comme il faut,
qu’il ne souffrait de rien et qu’on ne pouvait faire mieux.
C’est une chose qu’on peut supporter un moment d’être au centre du chien,
il faut seulement veiller à sortir à temps,
avant que son monde ne se referme sur nous;
sinon on reste un chien dans le chien
et il n ‘y a plus rien à faire.
Ah, tu ris,
douce confidente!
Et s’il me faut te dire où je trouve le plus de sensations,
la sensation du monde,
une félicité céleste,
je dois t’avouer que c’est toujours dans ces moments de plongée dans l’autre,
dans ces instants fulgurants,
profonds,
hors du temps,
où je vois comme Dieu dans ses créatures.
Chère,
suis-je fou et puéril de dire des choses pareilles?
Mais tu ne peux pas savoir avec quel sérieux je les pratiquais.
Il m’arrive parfois de penser que,
si je suis parti de chez moi,
c’est pour cette raison,
parce qu’on n’avait pas le droit d’« aller dans le chien »,
ou bien si l’on y parvenait,
il fallait tout de suite raconter comment c’était dans le chien.
Et si je me pose la question,
je ne peux pas m’imaginer quelqu’un,
pas même une mère,
qui puisse supporter une telle chose de la part de son enfant
ainsi prédestiné à se promener de façon aussi désinvolte dans les créatures les plus variées.
Et je peux suffisamment adopter la position de la mère
pour comprendre que c’est pour elle un tourment et un préjudice
car,
pour elle,
un chien n’est guère plus fréquentable qu’une taverne sur le port.
Comment pourrait-elle comprendre que son gentil bambin est là à l’intérieur,
au lieu d’être avec elle?
Qu’en penses-tu?
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Magda,
ô Magda!
Quel être faible s’avance vers toi,
le coeur si petit !
Un être qui voudrait encore attendre, lutter,
rester,
se préparer.
T’écrire.
Ici,
il pouvait aller vers toi avec la vigueur inépuisable de l’âme,
le pourra-t-il encore?
Ah, je voudrais devenir plus fort,
vaincre avec toi un danger dans mon coeur
– et venir.
Tel que tu as cru que je pouvais parfois m’avancer,
svelte et la démarche légère.
Je viens vers toi en état de disette avec tout mon Hier,
tout cet impénétrable,
toute cette défaite attachée à mes basques.
Je vais donc te voir,
Magda,
avec ces yeux qui n’y sont pas préparés;
mes mains,
mes mains d’hier
vont chercher un refuge dans les tiennes.
Dans sa nouvelle version, créé à l’université Laval (Saint-Foy, Québec) le 2 avril 2015
Disponible en diffusion
Automne 2018
Été 2019
Printemps – été – automne 2020
Prix de base une représentation : 1 800$ dégressif.