Le Souffleur de verre

«L’ennemi, c'est l'apathie universelle du cœur et de la tête»

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« Il y avait la terre, il y avait l’espoir, le temps, la semence, il n’y a plus rien. Il y avait un ciel, des rimes, des chemins, des forêts - toutes les couleurs du monde - des feuilles, des lacs immenses, des torrents, de la mousse, des odeurs, des rites, des bêtes, des fougères, des écorces, des batraciens, du gui, des bois, du foin, il n’y a plus rien. Plus d’air, plus d’arbres, d’oiseaux, de papillon, de riz, de grain, de thym, de fragrances...»

CREDITS

MISE EN SCÈNE Denis Lavalou 
TEXTE Denis Lavalou 
SAISON DE CRÉATION 2013 – 2014
GENRE spectacle théâtral
PUBLIC tout public
DURÉE 1h40

AVEC Jean-François Blanchard, Léa-Marie Cantin, Henri Chassé, Olivier Courtois, Jasmine Dubé, Carmen Ferlan, Marie-Josée Gauthier, Nicole-Sylvie Lagarde, Claude Lemieux, Vincent Magnat, Bernard Meney, Janie Pelletier & Marcel Pomerlo.

SCÉNOGRAPHIE Denis Lavalou
avec la collaboration de Francis Laporte
ASS. MISE EN SCÈNE & RÉGIE Audrey Lamontagne
ENVIRONNEMENT SONORE  Éric Forget
LUMIÈRE Stéphane Ménigot
COSTUMES, ACCESSOIRES, PATINES Marianne Thériault
MAQUILLAGES, COIFFURES Angelo Barsetti
ASSISTANTE AU MOUVEMENT Nico Lagarde

DIRECTION DE PRODUCTION Denis Lavalou
DIRECTION TECHNIQUE Francis Laporte
avec la collaboration de Caroline Turcot
RELATIONS DE PRESSE Monique Bérubé
GRAPHISME Baillat, Cardell & Fils
CRÉDIT PHOTO SPECTACLE Robert Etcheverry

PRODUCTION Théâtre Complice (Montréal, QC, Canada)
CODIFFUSION ESPACE LIBRE (Montréal, QC, Canada)

SOUTIENS FINANCIERS : Conseil des arts du Canada, Conseil des arts et des lettres du Québec, Conseil des arts de Montréal et les généreux donateurs privés du Théâtre Complice

TÉLÉCHARGER LA PRÉSENTATION

Un peu plus loin en avant d’aujourd’hui. Le pire, en matière de catastrophe naturelle, environnementale et géopolitique a été atteint, la guerre mondiale des territoires encore un peu vierges, de l’eau, de la nourriture et des richesses naturelles a commencé.
La désinformation est à son comble.
L’humanité survivante du monde occidental baigne dans un jus glauque de fatalisme et d’idiotie, résultat de décennies de lavages de cerveau, de consommation aveugle, d’irradiations et d’éducation à rabais.
On sait qu’on ne sait plus rien et on vit pareil, on a perdu toutes les qualités qui faisaient des homo sapiens des êtres humains. Écoute, respect, conscience, sensibilité, altruisme et vision d’avenir se sont totalement évaporés.
Et c’est l’horreur, l’horreur tragi-comique d’une douzaine d’êtres humains dont la conscience tourne à vide, qui ne savent plus ce qu’ils font, qui ne savent plus réfléchir ni se révolter, qui sont capables de découper un enfant encore vivant parce que c’est le dernier et qu’instinctivement, ils veulent en conserver un morceau et puis oublier ce qu’ils ont fait.
Ils ne savent même plus ce que souffrir et faire souffrir veulent dire.
Et surtout ils ne savent plus retenir.

PRÉSENTATION

« Nos ennemis sont parmi nous et tout autour de nous. Car l’ennemi, c’est l’apathie universelle du cœur et de la tête, leur manque de vitalité chez l’homme, le vrai effet de notre vice; de là, viennent la peur, la superstition, le fanatisme, la persécution et l’esclavage de toutes sortes. Nous ne sommes que des têtes de bois posées sur des carcasses, avec un foie à la place du cœur. »
Plaidoyer en faveur de John Brown (1859), Henry David Thoreau

« Cette époque est marquée par la destruction. Les mots succombent à la loi commune. Il est lugubre de penser au sort dénaturé des mots, à l’effroyable déperdition de sens qu’ils ont subie. Privés de l’influx de forces qui les faisaient resplendir autrefois, ils ne sont plus que les fantômes d’eux-mêmes. Pourtant, les mots sont la dernière bouée de sauvetage de ce monde qui s’en va. Bafoués, usés, les mots ne le sont pas tant qu’ils gardent tout au fond d’eux-mêmes l’âme brillante de leur sens primitif. Dans un souffle parfois, elle émerge des ténèbres de la mémoire. » L’aveu, Arthur Adamov (1938).

Il m’a fallu longtemps avant de comprendre vraiment ce qui se terrait tout au fond du flot de mots et derrière la musique qui caractérisent Le Souffleur de verre ; longtemps pour reconnaître de quelles peurs je voulais faire état et contre quoi je me révoltais en écrivant et réécrivant sans cesse ce conte cruel, mon chant choral insensé, à mesure que le temps passait et que l’humanité glissait. Il m’a fallu ces treize très généreuses voix, la confiance de tant d’autres, la rencontre d’auteurs tels mon ami Thoreau et Arthur Adamov qui savent si bien décrire ce qui m’a traversé – pour entendre. Mais je sais maintenant que ce qui m’obsède et me rend fou, c’est d’abord le vacarme invraisemblable et tellement vain que font désormais les incessants bip bip des mots écrits à la va-vite et sans plus d’orthographe, c’est-à-dire de respect pour leur sens, c’est l’apathie qui menace nos cœurs exténués de violence mais qui en réclame tant et plus encore pour s’émouvoir vraiment, c’est le mur que nous allons frapper à force de prendre sans jamais rendre, et c’est l’épidémie d’opinionite mondialisée, symptôme de notre plus grave problème qui est de ne plus avoir aucune SUITE DANS LES IDÉES.

 

EXTRAITS

Au début, tout est silence et inertie, longtemps
Jeanne tombe
Ils la regardent sans commentaires puis ne la regardent plus
Long temps, puis la parole surgt

LE CHAUFFEUR, rompant le silence – La dernière fois c’est moi.

LE PATRON – Quoi toi?

LE VOISIN – De quoi?

LA VOISINE – Laquelle de dernière fois?

LA SOURDE – Qu’est-ce qu’il dit? Qu’est-ce que tu dis?

LA VOISINE – Il dit «la dernière fois».

LA SOURDE – Ah oui, la dernière fois.

LE CHAUFFEUR – La dernière fois, oui.

LA COMMÈRE – La dernière fois que quoi?

LA FILLE – Pourquoi la dernière fois?

LA SAVANTE – Comment la dernière fois?

L’HOMME COLÈRE – Ils recommencent.

LE PATRON – Lui?

LA SAVANTE – Ou un autre?

LA COMMÈRE – Choisir?

LE VOISIN – Déjà?

LA VOISINE – Encore!

L’HOMME COLÈRE – Pourquoi?

LE FILS – Partir?

LE CHAUFFEUR – Il partait, oui, sur la route du Nord.

LE PATRON – Qui?

LE CHAUFFEUR – Moi.

LE PATRON – Toi?

LA SOURDE – Qui? Qui est parti?

LE PATRON – Lui, il est parti, il dit.

LA SOURDE – Lui? Ah bon.

LA SAVANTE – Il serait parti, lui, sur la route du Nord. C’est cela qu’il prétend.

LA COMMÈRE – Il dit n’importe quoi.

LA SAVANTE – Au moins, c’est sans appel.

LE CHAUFFEUR – Pas moi, Parker, l’ai vu.

LA SOURDE – Qui?

LA COMMÈRE – Parker. Parker (Épelant) P.a.r.k.e.r.

LA SOURDE – Parkeur alors.

LE CHAUFFEUR – Parker.

LA SOURDE – Parker? Parkeur ou Parker? Quoi Parker? C’est quoi Parker?

LE PÈRE – C’est leur voisin.

LA VOISINE – Parker notre voisin.

LA SAVANTE – Votre voisin, Parker.

LA COMMÈRE – Parkeur ou Parker, c’est du pareil au même.

LE PATRON – Parker le voisin, quoi, le voisin des Voisins.

LE CHAUFFEUR – Parker, oui – ou Parkeur, n’importe.

LA FILLE – L’Étranger.

LA SOURDE – Vous allez un peu vite.

LE VOISIN – Ai plus de voisin.

LA VOISINE – Il est parti.

LE VOISIN – Il est parti Parker.

LE CHAUFFEUR – C’est ce que je dis, parti.

LA SOURDE – Ah, ce Parkeur-là.

LA VOISINE – Parti, oui. Il est parti, notre voisin, parti. Comme tous les voisins qu’on a eus, n’est-ce pas? Restent pas les voisins. Jamais. Jamais ils ne restent. Arrivent et partent. Partent tous. N’aiment pas le voisinage, on dirait. N’aiment pas leurs voisins. Ne nous aiment pas, on dirait bien. Partent et ne reviennent pas. C’est comme ça.

LA SOURDE – Où?

LE CHAUFFEUR – Sur la route.

LA SOURDE, comme une évidence – Ah, la route.

LE CHAUFFEUR – Oui, la route, la seule, l’unique. Notre route, la route du Nord, quoi. (Au Voisin) Ton voisin, (À la Voisine) le vôtre, le leur, moi, je l’ai vu.

LE PATRON, à La Fille – Lui, tu vois.

LA FILLE – Qu’est-ce que ça prouve?

LA VOISINE, désignant le Voisin – Non, lui.

LE CHAUFFEUR – La dernière fois, c’est moi.

LE VOISIN – La dernière fois pour toi.

LE CHAUFFEUR – Quoi pour moi?

LE VOISIN – Oui, pour toi.

LA COMMÈRE, au Chauffeur – La dernière fois pour toi, la dernière fois pour lui, la dernière fois pour n’importe lequel d’entre nous et pour d’autres aussi peut-être. On n’en sait rien qui sait. Qui sait ? Qui sait quoi ? Personne, bon.

LA SAVANTE – Personne ne peut savoir. Qui sait ce que l’on voit quand on est solitaire? C’est une question de point de vue. Vue d’œil ou vue de l’esprit, pas de preuve, pas de poids. (Au Chauffeur) Tu n’y arriveras pas.

LA SOURDE – Pas de poids dans l’épreuve, c’est ça?

LA COMMÈRE – Personne.

LE VOISIN – Comment ça personne?

LA COMMÈRE – Depuis longtemps.

LE CHAUFFEUR – Mais puisque je vous dis.

LA FILLE, le coupant – Tu le dis, oui, tu le dis, une heure que tu le beugles. On sait, on entend, on a entendu. Tout le monde n’est pas d’accord.

LA SOURDE – Le quoi?

LA COMMÈRE – Le beugle, comme une vache.

LA SOURDE – Qu’est-ce qu’elle raconte avec sa vache?

LE CHAUFFEUR, à la Sourde – Un autre, elle dit.

LA SOURDE – Un autre quoi?

LA FILLE – Et pourquoi pas un autre?

LA COMMÈRE – Un autre, oui.

LA SOURDE – Qui?

LA COMMÈRE – Alors oui qui? mais qui?

LE CHAUFFEUR – Moi.

LA VOISINE, désignant le Voisin – Non lui.

LE PÈRE – Sur la route du Nord?

LE PATRON, au Père – Sur la route du Nord, oui. Vers le Nord. Ils partent toujours vers le Nord quand ils partent. Tous. Vers le Nord. De ça, au moins, on en est sûr. Tout le monde le sait. Qu’est-ce qu’on y peut?

LE VOISIN – Rien.

LA COMMÈRE – Oui tous, on sait. Pareil. Tous pareil. Il est parti, voilà, vers le Nord, point.
Ils se connaissent jusqu’à l’usure. Ils ne s’entendent pas, ils s’écoutent peu. Une forme de rébellion larvaire face à l’état des choses semble s’exprimer dans la bouche de La Fille, Le Fils quant à lui semble détenir certaines informations fondamentales mais, considéré comme mentalement déficient, il est sans arrêt censuré par tout le monde, l’Homme Colère paraît proche d’exploser lui aussi, mais malgré les dissensions, pas un ne veut sortir, s’extraire de l’Endroit. Seule Jeanne, revenant avec obstination sur sa propre histoire, celle de sa fille un jour perdue et jamais retrouvée – sans qu’il nous soit possible de faire le lien entre cette histoire et celle de Parker – s’éclipse régulièrement en s’évanouissant.

LE VOISIN, au Fils – Comment tu peux savoir, tu n’étais même pas né.

LA FILLE – Quoi?

LE VOISIN – Quand j’ai vu qu’il partait Parker notre voisin, sur la route du Nord, la dernière fois pour moi, il n’était même pas né.

JEANNE, très vite, malgré elle – L’année dernière?

LE PATRON – Quoi l’année dernière?

LE CHAUFFEUR – L’année dernière quoi, Jeanne?

LA COMMÈRE – L’année dernière il n’était pas né, lui, grand comme il est?

LA VOISINE – Qu’est-ce que tu nous chantes avec ton année dernière?

JEANNE – Je ne chante plus.

LE PATRON – L’année dernière, tu dis.

JEANNE – Qui dit ça?

LE PATRON – Toi, tu viens de le dire.

JEANNE – J’ai pas dit l’année dernière.

LE PATRON – Mais si, Jeanne, tu as dit, rapidement mais très distinctement, tu as dit «l’année dernière». «L’année dernière», t’as dit. Tu as dit qu’il a dit qu’il l’a vu, lui, le dernier, quand il est parti Parker sur la route du Nord «l’année dernière». Mais le Mongol n’était pas né.

JEANNE – Alors c’était l’année dernière?

LA SOURDE – Un mongol? l’année dernière? Négatif, je le saurais. J’enregistre, je vous le rappelle. «Inscription des phénomènes» que ça s’appelle. Depuis des lustres – des jours des mois des siècles des années, je sais. J’entends peut-être plus mais je sais tout quand même.

LA VOISINE – Mais qui est né l’année dernière? Personne n’est né l’année dernière, mon dernier né a presque six ans.

LA FILLE – Son dernier né?

LE PATRON, à La Fille – Laisse tomber. (À Jeanne) Jeanne, tu as dit l’année dernière, c’était l’année dernière qu’il est parti Parker? Tu le sais, tu le sais, toi, quand il est parti Parker ?

LA SOURDE, rectifiant – Parkeur.

JEANNE – Ma fille?

LE PATRON – Non, pas ta fille, on ne te parle pas de ta fille. Lâche-la ta fille, elle est morte depuis des lustres.

LA SOURDE – Des jours des mois des si…

LE PATRON – On parle de leur voisin, Parker. La Voisine prétend…

LA SOURDE – Des années.

LA VOISINE, l’interrompant – Voilà, ça recommence, je prétends, moi, je prétends. Je ne prétends pas, non. Je l’ai déjà dit, je ne prétends pas. Rien. Prétendre! Eh quoi encore? Quoi que ce soit. Qui prétend quoi ici? Qui peut prétendre? Oser prétendre.

LA COMMÈRE – Mais TOI.

LA VOISINE – Moi?

LA COMMÈRE – Oui toi, après lui, c’est bien ça que tu dis, non?

LA VOISINE – Jamais dit ça. Moi? Je n’ai pas dit l’année dernière que Parker était parti sur la route du Nord. Non. Rien dit de ça. (Au Voisin) N’est-ce pas? (Parlant de Jeanne) C’est elle.

Jeanne s’évanouit.

LE PATRON – Merde.

Temps

LA SOURDE – Ce n’était pas l’année dernière alors?

Temps

LA SOURDE – Qu’est-ce qui se passe, j’entends plus rien?

Temps, en sourdine ensuite

LA COMMÈRE – Après le qui, le quand, on avance, tout de même.

LA FILLE – Comme un âne à reculons…

LE FILS – …égaré dans la cendre.

LA SAVANTE – On ne se perd pas, on creuse.

L’HOMME COLÈRE – Notre tombe.

LA SAVANTE – Laisse.

LE FILS – Alors quand?

LE CHAUFFEUR, au Voisin – Oui, quand? Dis-nous, puisque tu en sais plus que moi.

LA SOURDE – Des lustres qu’on n’a pas vu un mongol au village. Je peux sortir des statistiques, si vous voulez.

LE PATRON – Non, on ne veut pas.

Silence

LA SAVANTE, mettant fin à la sourdine – Bon. C’est très difficile. On parle d’une autre dimension. De quelque chose d’aléatoire. Un homme, une route, de la poussière sur cette route, un autre qui le regarde et l’on peut croire en un départ, mais il y en a eu tant. Comment inscrire clairement celui-là – dont on parle – sur un barreau précis de l’échelle du temps?

REVUE DE PRESSE

Marie Labrecque – Le devoir – 23 janvier 2014

Ce n’est pas tous les jours qu’une petite compagnie théâtrale atteint l’âge respectable de vingt ans. Le directeur du Théâtre Complice (Les hivers de grâce de Henry David Thoreau), Denis Lavalou, s’est lancé dans une entreprise assez ambitieuse. Qualifiée de « chant choral », sa création Le souffleur de verre décrit un monde postapocalyptique qui renvoie au théâtre de l’absurde, notamment par son illustration de l’impasse de la communication et d’un langage vidé de son sens. Faut-il d’ailleurs voir une référence à Ionesco dans un élément du décor, ce monceau — également significatif pour le récit — de chaises sur scène ? Ils sont douze alignés derrière une longue table, comme autant d’apôtres dépenaillés d’une Dernière Cène glauque. Survivants d’un désastre planétaire, ils ressassent, de toute éternité jurerait-on, les mêmes discussions vaines qui ne mènent nulle part. […] De cette faune anonyme mais typée émergent quelques personnalités plus fortes, tels la Commère de Marie-Josée Gauthier, le Patron de Bernard Meney (en remplacement du regretté Denis Gravereaux, auquel le spectacle est dédié) ou la mère (intense Nico Lagarde) qui cherche sa fille disparue. Car ce monde sclérosé est stérile d’enfants, et donc dépourvu d’avenir. Ce seront d’ailleurs les deux plus jeunes qui remettront en question le statu quo… […] Saluons le travail accompli par Denis Lavalou sur la langue. Il a forgé un langage plutôt tronqué, réitératif, qui paraît se déglinguer vers la fin, alors que les personnages semblent incapables de phrases complètes. Une partition difficile, bien maîtrisée par la distribution. Patiemment, l’auteur a construit un univers cohérent qui trouve une incarnation réussie dans sa scénographie (plus que jamais, l’Espace Libre prend des allures de bunker), dans les costumes et l’environnement sonore.

Thomas Simonneau – Le Délit, journal francophone de l’Université McGill – 21 janvier 2014

«Ma plus grande peur, la pire horreur dans ce monde où nous en sommes abreuvés, c’est la lobotomie du coeur. L’insensibilité à tout, et tout d’abord à l’autre, à tous les autres. À force d’en prendre – et Le Souffleur de verre se situe dans un monde où tout ce qu’on nous annonce comme horreur environnementale, tout ce qui nous pend au nez comme catastrophe géopolitique est arrivé – à force d’en prendre donc, terminé. Blocage. On n’en prend plus. Ça coince et ça dérape, ça a dérapé.» Ici gisent les mots de l’auteur et metteur en scène du Souffleur de verre, Denis Lavalou, annonçant, sans équivoque, l’ambiance de cette pièce, mais aussi poignante et, quelque part, poétique. […] La fluidité des répliques et la consonance des émotions des protagonistes dépeignent un organisme malade, un système social dépérissant et courant à sa propre perte. Sur le plan artistique, le Théâtre Complice fait preuve d’un grand savoir-faire à plusieurs niveaux. La mise en scène est simple mais efficace: les personnages sont attablés face à nous, porteur d’un même regard vitreux. Les costumes et la musique plongent la salle dans une atmosphère totalement lugubre, laissant un public d’autant plus perplexe lorsqu’un silence glacial, terrifiant, se fait à la fin de la pièce. [..] Le Souffleur possède un répertoire complexe, où les dialogues nous parviennent de manière à la fois harmonieuse et décousue. Cette distorsion du langage, dernier élément identitaire de cette communauté, couplée au désespoir de protagonistes pourtant lucides, nous choque, nous dérange. D’une certaine manière, la pièce va chercher la confrontation avec son public et créer un malaise dans la salle. Et pour cause, plus cette fiction progresse, plus on oublie que c’en est une. Cette intemporalité, qu’elle soit dans l’oeuvre elle-même ou dans les messages qu’elle porte, est un des attributs-clé du Souffleur de verre. […] Sans être une oeuvre à portée strictement politique, Le Souffleur de verre mène tout de même à l’interrogation personnelle et collective. Loin d’être moralisatrice, elle nous confronte, nous, citoyens, aux enjeux sociaux de notre temps. Cependant, l’arrivée inattendue d’un étranger dans cette petite communauté recluse est peut-être bien porteuse d’espoirs et signe d’une ouverture sur le monde extérieur, qui ne se limite, heureusement, pas seulement aux tragédies mises en lumière par Le Souffleur. À vous, chers lecteurs, et, éventuellement, futurs spectateurs, de voir.

Lucie Renaud – Blog Le clavier bien tempéré – 18 janvier 2014
lucierenaud.blogspot.ca /2014/01/le-souffleur-de-verre-derniere-scene.html

Ils sont douze, comme les apôtres attendant Jésus pour un ultime repas et, quand on entre dans la salle d’Espace libre, on a l’impression de plonger dans un tableau flamand, en clairsobscurs, la patine du temps ayant estompé certains contours. Douze comme les mois de l’année, les vies de hindouisme, les tribus d’Israël… Douze comme les cavaliers de l’Apocalypse, parce que Le Souffleur de verre se veut une oeuvre étouffante, campée en pleine fin du monde, qui ne laisse pénétrer que bien peu de lumière. Douze comme les demi-tons de la musique occidentale aussi, car il s’agit bien ici d’une partition, patiemment assemblée par Denis Lavalou, chaque personnage se voyant confier un motif, une articulation, une intention. Un soliste (soulignons ici les très belles performances de Jean-François Blanchard en Homme-Colère, Henri Chassé en père et Bernard Meney, qui s’est joint à la production, lors du décès malheureux de Denis Gravereaux il y a un mois, en patron) s’extrait parfois de la masse, s’enflamme pendant quelques pages, comme s’il chantait une aria. À d’autres moments, les douze voix s’élèvent, timbres complémentaires, certaines martellato, d’autres parlando. Le propos devient secondaire, on se laisse plutôt porter par les couleurs, comme si le grain d’une voix devenait ultime parcelle d’humanité. Chacun improvise à partir des notes qui lui ont été données, cellules de musique aléatoire qui se juxtaposent à l’habillage sonore suffocant d’Éric Forget, que l’on perçoit d’abord distinctement et qui finit par envahir la moindre interstice de notre inconscient. Héritier d’En attendant Godot de Beckett et de l’absurdité assumée d’Ionesco, Le souffleur de verre n’est pas sans évoquer aussi La route de McCarthy. Le texte a été fragmenté au scalpel, histoire de transmettre la perte de sens, la désintégration du langage. Comme peut-on raconter, se dire, quand on ne maîtrise plus les mots, que les temps de verbe nous échappent, qu’il nous manque des référents communs, que plus personne ne peut se fier à son souvenir, que chaque jour est semblable au précédent? « Les histoires, c’est du trouble, de l’indiscipline; elle ne mènent à rien. » Peut-on encore renommer l’innommable quand un étranger (Marcel Pomerlo, impeccable dans le rôle) nous pose des questions, nous laisse croire que, peut-être, la route que l’on croyait abandonnée, impraticable, mène ailleurs? Unique parcelle d’espoir, les deux jeunes gens finiront par tourner le dos au statu quo, tenteront de conjurer l’inévitable. On sort de la pièce terrassé, vaguement excédé, en se demandant si cette déstructuration du propos était la seule façon de transmettre le message. Le lendemain, on se rappelle une fois encore (mais quand finirons-nous par comprendre?) que l’humanité doit se réveiller enfin, si elle ne veut pas disparaître. La pièce de Lavalou ne relève pas de la poétique, mais bien de la polémique, comme la pratiquait aussi Henry David Thoreau, son ami fidèle depuis l’adolescence.

Marie-Andrée Parent – lesdeliresdemarie.blogspot.com – 21 janvier 2014

Encore quelques jours pour voir une production fascinante, une pièce atypique et par le fait même, magnifique! Une équipe de comédiens incroyables nous livrent une partition sans faute dans une langue qui se déconstruit constamment pour ces personnages de fin du monde.

Francine Grimaldi – ICI Radio-Canada – 18 janvier 2014

Il y a encore du bon théâtre que du bon théâtre toute la semaine. J’ai vu Le Souffleur de verre à Espace Libre, un texte de Denis Lavalou difficile à livrer parce qu’il est hachuré, démultiplié, écrit comme une partition musicale pour 13 voix. On pourrait dire que ce sont les derniers humains après une catastrophe nucléaire ou écologique quelconque, 13 comédiens alignés devant nous, collés à la scène, ils se partagent des répliques sans interruption pendant une heure quarante, ils maîtrisent à la perfection leur partition et la diction, la mise en scène par leur auteur Denis Lavalou est vraiment très réussie, c’est produit par la compagnie du Théâtre Complice, dont c’est le 20e anniversaire […] À l’arrivée d’un étranger curieux – trop curieux d’ailleurs – pour les villageois, joué par Marcel Pomerlo, l’auteur nous plonge dans un conte cruel, un chaos de fin du monde. Les gens ont peur de l’inconnu, ils se méfient, ils questionnent dans leur ignorance, et qu’est-ce qu’on fait, on rejette. Les habitants sont devenus insensibles au sort des autres. L’auteur dit c’est la lobotomie du coeur, le genre humain n’a plus d’avenir, c’est vraiment triste à voir mais bien joué.

Aurélie Olivier – Revue JEU – 20 janvier 2014

À l’occasion des vingt ans du Théâtre Complice, fondé en 1994 par Marie-Josée Gauthier, celui qui est maintenant son directeur artistique nous présente le résultat de ces années de réflexion, une pièce post apocalyptique qui a des allures de partition musicale, et qui a sans aucun doute dû nécessiter un travail d’appropriation colossal de la part des comédiens. […] Avec un indéniable talent d’écriture (malgré certaines longueurs), Denis Lavalou nous dépeint un monde caractérisé par la peur de l’étranger, l’absence de valeurs humanistes, les radotages infinis sur les sujets les plus triviaux, l’ignorance volontaire des questions essentielles… Un monde qui n’est pas beau à voir mais qui finalement ressemble beaucoup au nôtre. On reste habité longtemps par l’atmosphère de fin du monde qui se dégage de la scénographie (tas de chaises empilées; immense table qui figure aussi la route du Nord, celle par laquelle on part, mais dont on ne revient pas; fumée; grondements en fond sonore), de l’accoutrement crasseux des personnages, de leurs regard fixes et de leurs visages sans joie – l’unique moment de rire de la pièce prend d’autant plus de relief.

David Lefèbvre – Montheatre.com

Partition est le mot juste : l’intérêt premier de ce Souffleur de verre se trouve dans la musicalité du jeu de chaque acteur, articulant avec soin et posant la voix pour imposer une sonorité bien précise ; la compréhension du récit passe ainsi davantage par le son que par la signification littéraire de ce son. Assis derrière une table qui traverse la salle de l’Espace Libre, douze hommes et femmes attendent : une Cène version apocalyptique. […] Denis Lavalou nous entraîne ainsi dans un monde postapocalyptique, où l’insensibilité a totalement terni l’âme humaine, jusqu’à faire disparaître le concept d’espoir et d’avenir. Le village est figé dans le temps et est voué à disparaître. Si Lavalou veut ainsi présenter une satire de l’homme et de la société d’aujourd’hui, il sonde aussi le thème de la mémoire, collective et individuelle. [..] À mi-chemin entre les univers de Beckett et de Ionesco, Le Souffleur de verre se veut parfois drôle, parfois absurde, mais souvent fascinant. Par contre, la trame narrative est d’une remarquable densité, et par le fait même, plutôt lourde. Malgré tout, on ne peut reprocher à la création de ne pas aller jusqu’au bout de ce qu’elle avance, et ce, même si sa construction bien particulière peut nous hypnotiser et nous perdre légèrement. Les échanges sont vifs, souvent composés d’un seul mot ; la parole est tout aussi vivante que morte. Les longs silences prennent leur juste place ; on peut alors entendre un grondement perpétuel de fin du monde, accompagné du mauvais fonctionnement des lampes éclairant l’endroit, qui s’allument et s’éteignent. Les comédiens, d’une concentration exceptionnelle, manient tous et toutes la langue hachurée, violente, banale, philosophique ou poétique de Lavalou avec une dextérité et une virtuosité remarquable.

Augustin Charpentier – Info-culture – 19 janvier 2014
http://info -culture.biz/2014/01/19/le-so uffleur-de-verre-denis-lavalo u-redo nne-la-paro le-auxmo ts-du-14-janvier-au-1er-fevrier-alespace-libre/

La petite apocalypse du coeur, l’apathie totale de l’amour qui meurt, telle est l’horreur pour Denis Lavalou qui, afin de contrer peut-être cette course de l’humanité vers un vide d’avenir de moins en moins incertain met en scène ce conte cruel à l’absurde Beckettien, Ionescien dénonçant l’extrême insensibilité de bientôt demain. Les répliques théâtrales lui étant venues comme les mouvements d’une partition musicale, Denis Lavalou s’est appliqué à monter un corps choral en vue d’interpréter en creux le cri de l’âme que poussent partout les mots, à peine écrits par des mains de computers humains contemporains, réduits à la va-vite et sans plus respect aucun sur les écrans tactiles et autres réseaux sociaux. Fidèle à son ADN, le co-fondateur du Théâtre Complice et créateur du Souffleur de Verre rend aux mots ce qui leur a été pris, à l’envers, via le renouvellement et la verve de sa poésie. Nico Lagarde, Jean-François Blanchard, Léa-Marie Cantin, Marie-Josée Gauthier, Jasmine Dubé, Vincent Magnat, Bernard Meney, Carmen Ferlan, Claude Lemieux, Jane Pelletier, Henri Chassé, Olivier Courtois et Marcel Pomerlo parviennent à merveille à composer un tout portant loin après les oreilles leurs partitions plus qu’individuelles pour délivrer à l’esprit des spectateurs présents le sens qui se donne à entendre, précieux, terré derrière l’invraisemblable vacarme des sons. Visuellement, les vêtements sales et troués des survivants autant que leurs mines maladives et délavées participent à l’environnement pour raconter l’état de délabrement d’un monde terminé dont la lumière blafarde se fond avec les ombres sur les murs d’un bunker bitumé. La route attablée, bordée d’assises entassées, est quant à elle habilement utilisée pour illustrer à double sens l’absence mortifère de mouvement à l’intérieur d’un univers souterrain et barricadé. Le Souffleur de Verre insuffle à nos petits univers trop connus des espoirs de nouveautés étrangères.

CALENDRIER

Création

ESPACE LIBRE, Montréal (Québec) CANADA – 14 janvier au 1er février 2014

 

GIORDANOGIORDANO